La communauté microbienne présente dans notre nez pourrait-elle influencer nos choix alimentaires ? Dean Drobot/Shutterstock
Hommes ou femmes, jeunes ou vieux, nous sommes tous colonisés par un à deux kilos de micro-organismes. Ces bactéries, virus et champignons, présents à l’intérieur et à l’extérieur de notre corps, sont réunis sous un terme de plus en plus familier, le microbiote. La majorité d’entre eux se trouve dans notre intestin, mais on en trouve également sur toutes les surfaces du corps, incluant les alvéoles de nos poumons ainsi que nos muqueuses, dont celle du nez.
Les nombreuses études scientifiques consacrées au microbiote, champ de recherche en pleine ébullition, nous ont fait prendre conscience de son importance pour rester en bonne santé. On réalise aujourd’hui qu’il joue peut-être un rôle dans notre comportement vis-à-vis de nos semblables, qu’il influence notre odeur corporelle et même notre rapport à la nourriture. Si vous vous êtes passionné pour les découvertes portant sur le microbiote intestinal, alors vous serez étonné d’apprendre que l’on commence seulement à explorer l’influence du microbiote sur l’odorat.
L’influence du microbiote sur l’épithélium de l’intestin (couche de cellules tapissant la face interne de cet organe) a suscité un développement considérable de la recherche, depuis sa caractérisation génétique en 2006. Il est désormais largement admis que la flore intestinale est impliquée dans la plupart des grandes fonctions de l’organisme, de la régulation de la pression artérielle de l’individu à la quantité ou au type d’aliments consommés.
De l’influence du microbiote sur la sociabilité
Des travaux publiés en 2016 vont même plus loin. Ils attribuent au microbiote un rôle majeur dans les comportements sociaux. Cette étude américaine porte sur le développement de l’autisme en lien avec une obésité de la mère. Les auteurs y étudient des souris issues de mères obèses nourries avec un régime gras et sucré. Ces souris, bien que nourries après leur naissance avec un régime standard, ont des relations sociales déficientes.
Il faut savoir que les souris sont des animaux sociaux. En présence d’un nouvel individu, elles passent habituellement du temps à s’explorer mutuellement. Or les souris nées de mères obèses s’intéressent très peu aux autres souris. Ainsi, elles représentent un modèle animal précieux pour étudier l’autisme, dont on sait par ailleurs que la fréquence est supérieure chez les enfants issus de mère obèse.
Tout d’abord, les chercheurs constatent que le microbiote de ces souris est différent de celui de leurs congénères issus de mères soumises à un régime alimentaire équilibré. Ensuite, ils montrent qu’en ajoutant une bactérie majeure manquante dans leur microbiote, via leur alimentation, leurs relations sociales reviennent à la normale. Ils concluent que leur étude ouvre des perspectives dans le traitement des troubles du comportement chez l’Homme, par le recours aux probiotiques. Sachant que ces « bonnes » bactéries sont déjà utilisés couramment, en complément de l’alimentation, en cas de mycoses ou de diarrhées. La conclusion de ces chercheurs pose question, comme nous le verrons un peu plus loin.
De manière surprenante, alors que le microbiote intestinal et ses effets physiologiques sont très étudiés, peu de travaux se focalisent sur celui des autres organes. L’auteur de la page « microbiote » sur Wikipédia se plaint même que, sur plus de 4 200 études consacrées au microbiote humain, seulement sept s’intéressent à la communauté microbienne… du pénis. Aucune étude ne s’étant penchée sur celle du nez, mon domaine à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), nous avons décidé avec un groupe de collègues de nous y intéresser.
Le microbiote modifie la détection des odeurs
L’épithélium olfactif, le tissu qui tapisse l’intérieur de notre nez, réalise l’étape initiale de la détection des odeurs, avant le traitement des informations par le cerveau. Nous avons dans un premier temps choisi d’étudier les variations du système olfactif chez des animaux sans aucun microbiote, dits « axéniques ». Selon nos observations, l’absence de microbiote modifie bien la structure de l’épithélium olfactif – de manière moins drastique, cependant, que pour l’épithélium de l’intestin.
D’abord, son renouvellement est ralenti. Ce phénomène s’explique probablement par la disparition des micro-organismes habituellement présents dans la cavité nasale. Moins attaquées par des micro-organismes pathogènes venus de l’environnement, les cellules de l’épithélium ne sont pas poussées à se renouveler aussi fréquemment.
Ensuite, chez les animaux axéniques, la couche ciliaire des neurones olfactifs où se déroule la détection des molécules odorantes est plus mince. Eh oui, il y a des neurones dans notre nez, et pas seulement dans le cerveau !. Malgré cette couche de cils plus minces, les signaux électriques neuronaux générés par l’arrivée des odorants sont, paradoxalement, plus intenses chez les animaux axéniques. Sans fournir d’explication à ce paradoxe, ces premiers travaux montrent en tout cas que le microbiote influence la structure des tissus nerveux localisés dans notre nez.
Des préférences pour des odeurs différentes
Nous avons alors réalisé une nouvelle série d’expériences dans le but d’étudier si la nature du microbiote pouvait influencer la manière dont les souris perçoivent les odeurs. À cette fin, nous avons utilisé des souris ayant toutes le même profil génétique mais séparées en trois groupes colonisés chacun par un microbiote différent. Nous avons constaté que les trois groupes de rongeurs ne manifestaient pas les mêmes préférences face à un panel d’odeurs sélectionnées spécialement pour susciter leur intérêt.
Pour en savoir plus, nous avons enregistré l’activité électrique des neurones de l’épithélium olfactif des souris en réponse aux odeurs testées. La encore, nous avons constaté des variations entre les trois groupes. Cependant, certains groupes de souris pouvaient s’intéresser de manière différente à deux odeurs tandis que les neurones de leur nez y répondaient de manière similaire.
Les neurones du nez ne réalisent que la première étape de traitement de l’information apportée par les odeurs. L’intérêt plus ou moins prononcé d’une souris vis-à-vis d’une odeur résulte donc de l’intégration de l’information venue de l’épithélium olfactif par de nombreuses structures de son cerveau. La discordance observée entre le comportement des souris et la réponse des neurones de leur nez suggère donc que la nature du microbiote colonisant l’organisme de la souris influence la manière dont son cerveau interprète les odeurs.
Notre odeur corporelle nous est familière
Au moins deux hypothèses permettent de comprendre que les préférences des souris soient influencées par leur microbiote. Les odeurs émises par tous les animaux sont très liées aux micro-organismes qui les colonisent. C’est le cas chez l’Homme où la majorité des odeurs corporelles sont issues du métabolisme de nos bactéries à la surface de notre peau, dans notre intestin et dans nos organes génitaux. Il en est de même chez les rongeurs. Leur odeur corporelle, qui leur est familière, peut donc expliquer les différences d’attirance pour les odeurs testées.
Par ailleurs, les préférences olfactives des rongeurs adultes sont très dépendantes des odeurs ayant émané de l’environnement pendant leur développement cérébral et ce, dès le stade utérin, comme le montrent de nombreuses études récentes. Les odeurs avec lesquelles ils ont été en contact très tôt dans leur vie leur sont, elles aussi, familières et peuvent donc influer sur leur intérêt vis-à-vis des odeurs qu’ils rencontrent une fois adulte. Cet apprentissage très précoce des odeurs pendant le développement fœtal semble très général dans le monde animal, et est également bien décrit chez l’Homme.
À ce stade de notre raisonnement, il est cependant utile de rappeler que la souris diffère de l’Homme dans l’utilisation de ses cinq sens. La souris privilégie l’odorat – fondamental dans ses interactions sociales – tandis que l’Homme sollicite davantage la vision et l’ouïe. Ainsi, des souris rendues incapables de détecter les odeurs par une modification génétique (souris dites anosmiques) perdent les comportements de reproduction et de défense de leur territoire. Elles ont, en plus, un comportement parental altéré.
Si le microbiote affecte le fonctionnement du système olfactif des souris, alors il convient de regarder sous un nouvel angle les travaux des équipes utilisant les rongeurs comme modèles d’études de l’impact du microbiote sur le comportement. C’est le cas des travaux de l’équipe américaine sur l’autisme et le microbiote, cités au début de cet article. Il faut se demander si les perturbations du comportement social observées chez les souris dans leur expérience ne viendraient pas, en fait, d’une perturbation de leurs repères olfactifs.
Des souriceaux perturbés dans leurs repères olfactifs
En effet, les chercheurs ont appliqué aux souriceaux, après leur sevrage, un régime alimentaire différent de celui de leurs mères. Ce changement de nourriture entraîne une modification de leurs odeurs corporelles. Ils perdent sans doute à cette occasion une bonne partie de leurs repères olfactifs initiaux ! Aussi, on peut faire l’hypothèse que la perturbation du comportement social chez ces rongeurs implique avant tout leur odorat.
Contrairement aux souris, nous les humains ne donnons pas la priorité aux informations olfactives pour établir nos relations sociales. Cette remarque amène à relativiser la portée de l’étude portant sur ces animaux.
Par contre, si comme chez le rongeur, notre microbiote modifie notre manière d’appréhender les odeurs autour de nous, il est tout à fait envisageable qu’il nous influence dans le choix de nos aliments. Car il est bien établi que notre odorat nous guide dans nos attirances ou nos répulsions pour tel ou tel aliment. Ainsi, une tout autre piste de recherche pourrait être d’évaluer dans quelle mesure nous pouvons changer notre microbiote afin que nos envies nous poussent, tout naturellement, vers une nourriture plus saine.
Nicolas Meunier, Neurobiologiste spécialiste de l'olfaction, université Paris Saclay, INRA
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.