Sa première version avait fait date dans l’histoire du « dark-sky movement » (le « mouvement de protection du ciel nocturne »). Publié en 2001 dans la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, The First World Atlas of the Artificial Night Sky Brightness constitue l’un des articles les plus cités dans les travaux universitaires s’intéressant aux nuisances et pollutions lumineuses.
La parution en juin dernier, quinze ans plus tard, de The New World Atlas of Artificial Night Sky Brightness marque une nouvelle étape. Le grand écho médiatique rencontré par cette publication montre que la question des effets négatifs de l’éclairage artificiel nocturne est devenu un problème public.
La pollution lumineuse, c’est quoi ?
Son effet le plus immédiatement visible concerne la dégradation de la qualité du ciel étoilé. La diffusion atmosphérique de la lumière artificielle génère des halos lumineux qui dégradent les contrastes et interdisent la vision des objets célestes faiblement lumineux.
Dans les grandes agglomérations, le ciel nocturne est réduit aux quelques étoiles les plus brillantes, à quelques planètes et à la Lune. Selon les auteurs du premier Atlas mondial de la clarté artificielle du ciel nocturne, 20 % de la population mondiale ont ainsi perdu la vision de la Voie Lactée à l’œil nu (50 % pour l’Union européenne).
Du point de vue environnemental, les écologues montrent des espèces fortement perturbées par la lumière artificielle. On note des mécanismes d’attraction et de répulsion par les sources lumineuses et des perturbations, à échelles plus larges, d’espèces désorientées lors de leurs migrations. Plusieurs perturbations comportementales sont également relevées (communication, reproduction, prédation). Enfin, certains effets négatifs sont montrés sur la flore.
Pour la santé humaine, la recherche médicale montre que l’alternance naturelle du jour et de la nuit est le premier donneur de temps pour notre horloge interne. Ce synchronisateur rythme la sécrétion de plusieurs hormones, comme la mélatonine. Une désynchronisation peut donc générer stress, fatigue, perte de la qualité du sommeil, irritabilité ou troubles de l’appétit.
Si la dégradation de la vision du ciel étoilé constitue une nuisance – ici c’est l’accès au ciel étoilé qui se trouve dégradé par la lumière artificielle, et non les étoiles elles-mêmes –, les coûts écologiques et sanitaires autorisent à employer le terme de polluant pour la lumière artificielle.
L’astronomie lance l’alerte
La remise en cause des doctrines de l’éclairagisme est le résultat d’un lent mouvement amorcé à la fin des années 1950 aux États-Unis par des astronomes professionnels. On peut en effet dater la première décision publique de protection de la qualité du ciel nocturne à 1958, lorsque la ville de Flagstaff décide d’une réglementation de l’éclairage public pour protéger l’activité des astronomes de l’observatoire Lowell en Arizona (c’est là que Pluton avait été découverte en 1930 par Clyde Tombaugh).
Depuis les États-Unis, le problème se diffuse à l’échelle internationale. D’un côté comme de l’autre de l’Atlantique, les villes connaissent durant les décennies 1960 et 1970 des mutations morphologiques rapides. Le développement massif de l’automobilité, l’étalement urbain, les nouvelles technologies d’éclairage et les faibles coûts de production de l’électricité engendrent l’installation d’un éclairage public toujours plus puissant, augmentant la taille et l’intensité des halos lumineux.
C’est durant ces mêmes décennies que s’affirme une conscience écologique globale qui s’accompagne de conceptions nouvelles, associant finitude de la planète et risques technologiques et environnementaux.
Dans ce contexte, l’idée d’une « pollution lumineuse » émerge peu à peu ; elle prend corps autour d’un bien environnemental à part entière : le ciel étoilé. En réaction à la perte d’accès à ce bien, différents réseaux de l’astronomie et de l’éclairagisme sont mobilisés.
En 1976, l’Union astronomique internationale adopte une résolution pour la protection des sites astronomiques. À la suite, une collaboration avec la Commission internationale de l’éclairage débouche en 1980 sur des recommandations pratiques visant à diminuer le halo lumineux à proximité des observatoires.
Les astronomes amateurs entrent dans la danse et relaient localement ces préoccupations professionnelles. En 1993, ils se fédèrent autour de la rédaction d’une charte pour la préservation de l’environnement nocturne. Au-delà de cette initiative, la mobilisation se traduit en France par la création du Centre pour la protection du ciel nocturne qui deviendra, en 1998, l’Association nationale pour la protection du ciel nocturne.
Globaliser la controverse
Fin 2006, cette association opère un changement significatif en intégrant à son nom la notion d’environnement nocturne. Cette notion floue sert une visée stratégique claire : la mise à l’agenda politique des nuisances lumineuses lors du Grenelle de l’environnement.
Les atteintes à « l’environnement nocturne » saisissent ainsi les aspects socioculturels (accessibilité au ciel étoilé), écologiques (espèces et systèmes affectés par la lumière artificielle) ou encore sanitaires (perturbations des rythmes circadiens et hormonaux, etc.).
Au-delà des dimensions scientifiques, il est aussi question d’atteindre de nouveaux publics, notamment grâce à des projets de science citoyenne ou participative, à l’image du programme Globe at Night.
La question du bon indicateur
Nombreux sont les travaux qui tentent d’objectiver la mesure de la pollution lumineuse grâce à « l’indicateur Voie Lactée ». La question se trouve ici réduite à la vision ou non de ce marqueur de la qualité du ciel nocturne, facilement appropriable et convoqué dans les imaginaires naturalistes. La production des deux Atlas de la clarté artificielle du ciel nocturne évoqués plus haut se situe dans cette mouvance.
Mais à bien considérer les effets négatifs de l’éclairage artificiel nocturne, « l’indicateur Voie Lactée » semble ne pas suffire ; et il révèle, en négatif, ce que l’on ne sait pas encore mesurer, soulignant le manque de connaissances au sujet des effets de la lumière sur les écosystèmes aux échelles complexes ainsi que sur la santé humaine au-delà d’études en laboratoire.
En la matière, « l’indicateur Voie Lactée » opère de façon très hasardeuse des liens entre différents types d’effets et d’impacts : il n’est pourtant pas de lien mécanique, en un lieu donné, entre la qualité du ciel nocturne du point de vue de l’œil humain et les impacts de l’éclairage artificiel nocturne sur tel ou tel trait fonctionnel de telle ou telle espèce.
L’usage trop fréquent de cet indicateur entretient ainsi la confusion entre la mesure des émissions de pollution lumineuse et la mesure de ses effets plus complexes, au-delà de la seule dégradation de la qualité du ciel étoilé. Pire : le fait de se contenter de cet indicateur pourrait à plus long terme freiner voire empêcher le développement des recherches, notamment dans une perspective interdisciplinaire.
Au plus près des usages de la nuit
On le voit, la lutte contre les nuisances et pollutions lumineuses ne peut rester l’apanage de quelques associations encore fortement marquées par le milieu de l’astronomie. Habitants, élus, ingénieurs territoriaux, bureaux d’études, chercheurs issus de multiples disciplines : la fabrique de l’éclairage urbain doit être ouverte à toutes les formes d’expertises et porter attention aux différents usages de la nuit pour, par exemple, mettre en place des politiques localement concertées de réduction des niveaux d’éclairement, voire de coupure de l’éclairage durant certaines plages horaires.
C’est l’attention portée à ce que les usagers – humain et non-humains – font de et dans l'obscurité qui peut mener à l’adaptation locale de la norme d’éclairage.
Ce travail permet d’ériger la protection de l’environnement nocturne en nouveau principe d’aménagement. Il donne naissance à des outils pour les territoires et les sciences de la conservation ; c’est le cas des Réserves internationales de ciel étoilé, adaptées aux besoins des astronomes et pouvant aussi servir de réservoirs de biodiversité nocturne au sein de « trames noires », ces espaces en réseaux qui rendent possible la protection de l’environnement nocturne jusque dans les villes.
Article écrit par Samuel Challéat, Université Toulouse – Jean Jaurès
Samuel Challéat, Chercheur en géographie de l’environnement, Université Toulouse – Jean Jaurès
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.