Sommeil : clef dans la maladie mentale ?

Le sommeil pourrait-il être la clé dans le traitement de la maladie mentale ?

Nous commençons seulement à démystifier les fondements génétiques et biochimiques de la maladie mentale — un terme vague comprenant des états aussi divers que l’anxiété, la dépression, les troubles de l’humeur ainsi que les troubles psychotiques. Des millions de personnes souffrent de ces pathologies, aussi est-il devenu crucial d’améliorer diagnostic et traitement. Des travaux scientifiques de plus en plus nombreux nous indiquent que nous devrions orienter nos recherches vers une de nos fonctions des plus basiques : le sommeil.

Des études suggèrent qu’un sommeil perturbé, comme dans le cas d’une insomnie,
serait un indicateur d’épisodes de maladie mentale à venir et que traiter les troubles du sommeil pourrait aider à traiter la maladie. En dépit de quoi, les effets du sommeil sur la maladie mentale ont été largement ignorés jusqu’ici en clinique.
Mais comment le sommeil et la maladie mentale sont-ils liés dans le cerveau ?
Pour comprendre ceci, considérons d’abord la biologie du sommeil et les rythmes circadiens.

Rythmes circadiens et santé

Il y a eu plus d’un trillion d’aubes et de crépuscules, depuis que la vie a commencé il y quelque 3, 8 milliards d’années. La physiologie, le métabolisme et le comportement des organismes, nous inclus, sont alignés sur ce cycle journalier grâce à nos horloges internes : ce sont elles qui nous permettent de "savoir" l’heure qu’il est. Cette horloge garantit que les processus biologiques surviennent dans l’ordre adéquat. Pour que les cellules fonctionnent convenablement elles ont besoin des bons matériaux, au bon endroit, et, au bon moment.

Des milliers de gênes doivent être activés ou inhibés en ordre et de concert. Protéines, enzymes, graisses, hormones et autres composés doivent être absorbés, fragmentés, métabolisés et produits dans une fenêtre temporelle précise pour permettre d’importants processus comme la croissance, la reproduction, le métabolisme, et la réparation cellulaire. Ceci consomme de l'énergie et doit, pour un résultat optimal, être programmé à la milliseconde, seconde, minute et heure d’un jour de 24 heures.

Pourquoi dormons-nous et que se passe-il si nous ne le faisons pas ?

Les rythmes circadiens sont innés et programmés dans le génome de tout ce qui vit sur la planète. Chez nous humains, la physiologie s’organise autour du cycle quotidien de veille-sommeil. Dans la phase active, quand la dépense énergétique est élevée, et que nous consommons nourriture et eau, les organes doivent être prêts pour l’absorption, la métabolisation et l’assimilation des nutriments.

Durant le sommeil, bien que la dépense énergétique et que les processus digestifs diminuent, beaucoup d’activités essentielles ont lieu y compris la réparation cellulaire, l’élimination des toxines, la consolidation de la mémoire et le traitement de l’information par le cerveau.

Quand ce mécanisme est perturbé, comme cela survient avec le décalage horaire, le travail posté, et la maladie mentale la synchronisation interne du réseau circadien se voit détruite et notre capacité à faire la bonne chose au bon moment est très diminuée. Ceci peut avoir un impact majeur sur notre santé.

Un sommeil et un rythme circadien perturbés peuvent avoir un impact majeur sur l’émotion, la cognition et la santé physique

Quelques effets sont décrits ci-dessous . (Source de l'auteur - Russell FOSTER)

L'Émotion, ce qui augmente :

les variations d’humeur
les dépressions et psychose
l’irritabilité
l’impulsivité
la frustration
la prise de risque
l’usage d’excitants (e.g. caféine)
l’usage de stupéfiants
les processus de dissociation mentale

La Cognition, ce qui diminue :

la performance cognitive
l’aptitude multitâche
la mémoire
l’attention
la concentration
la communication
la prise de décision
la créativité
la productivité
les performances motrices

La Physiologie et santé, il y a risque augmenté de :

somnolence
micro-sommeils
endormissement involontaire
sensations de douleur et de froid
cancer
anomalies métaboliques
diabètes de type II
maladie cardiovasculaire
baisse d’immunité
fonctions endocriniennes altérées

La perturbation du sommeil dans la maladie mentale

La relation entre la maladie mentale, le sommeil et la perturbation du rythme circadien a été décrite pour la première fois à la fin du XIX ème siècle par le psychiatre allemand Emil Kraepelin. Aujourd’hui, on signale cette perturbation chez 80 % de patients présentant une schizophrénie. Elle est de plus en plus reconnue comme la caractéristique la plus commune de ce trouble.

En dépit de sa fréquence dans la maladie mentale, les troubles du sommeil ont été en grande partie ignorés, et écartés comme étant la conséquence soit de l’isolement social ou d’une absence d’emploi, soit d’une médication anti-psychotique. Cependant, notre équipe a étudié cette hypothèse et montré que la perturbation du sommeil et du rythme circadien chez les patients souffrant de schizophrénie persistent indépendamment de médication anti-psychotique et cela ne peut s’expliquer sur la base d’un isolement social ou d’un manque d’emploi. Ces résultats nous conduisent à suggérer que maladie mentale et perturbation du sommeil sont susceptibles de partager dans le cerveau des chemins communs et qui se chevauchent.

Le système sommeil-rythme circadien est le résultat d’une interaction complexe entre plusieurs régions cérébrales, des neurotransmetteurs et des hormones. En conséquence, des anomalies dans n’importe quel système de neurotransmetteur auront probablement un impact sur le sommeil et le rythme circadien à plusieurs niveaux.

De la même façon, la maladie psychiatrique résulte d’anomalies dans des circuits qui interfèrent, et dans des systèmes de neurotransmetteurs du cerveau. Beaucoup d’entre eux interfèrent avec ceux qui régulent le sommeil et le rythme circadien. Vu sous cet angle, il n’est pas surprenant que les troubles du sommeil soient courants dans la maladie mentale, ou que la perturbation du rythme biologique puisse aggraver une santé mentale précaire. On retrouve, de façon très significative, beaucoup de problèmes de santé imputables à la perturbation du sommeil dans la maladie mentale, mais ils n’ont presque jamais été directement reliés à cette perturbation.

À la lumière de ces connaissances nous avançons les hypothèses suivantes :
Les gènes liés à la maladie mentale pourraient jouer un rôle dans l’origine et la régulation des rythmes circadiens.
Les gènes qui sont à l’origine du sommeil et des rythmes circadiens et les régulent pourraient jouer un rôle dans la santé et la maladie mentales.

À ce jour un nombre étonnant de gènes qui jouent un rôle à la fois dans les troubles du sommeil et dans la santé mentale a été identifié. Et si la santé mentale n’est pas due à une perturbation du sommeil et du rythme circadien, alors la perturbation du sommeil peut survenir avant un épisode de maladie mentale dans certaines circonstances.

Des anomalies du sommeil ont effectivement été identifiées dans les antécédents de cas de maladie mentale. Nous savons par exemple que des troubles du sommeil surviennent généralement avant un épisode de dépression. Par ailleurs, des individus, identifiés "à risque", en ce qui concerne le développement d’un trouble bipolaire, et de la schizophrénie débutant pendant l’enfance, présentent de façon caractéristique des problèmes de sommeil avant tout diagnostic de maladie.

De telles observations augmentent la probabilité que la perturbation du sommeil et du rythme circadien soit un facteur important dans le diagnostic précoce de cas de maladie mentale. Ceci est très important, dans la mesure où un diagnostic précoce permet une aide précoce. On peut aussi penser que le traitement des problèmes de sommeil actuels aura un impact positif sur la gravité de la maladie mentale. Une étude récente a été menée, au moyen de thérapie comportementale cognitive, dans le but de diminuer les troubles du sommeil chez des patients schizophrènes présentant des délires de persécution. Il a été mis en évidence qu’une meilleure nuit de sommeil était associée à une diminution de pensées paranoïdes ainsi qu'à une réduction de l’anxiété et de la dépression. Les nouvelles données suggèrent donc que traiter les problèmes de sommeil peut être un moyen efficace de réduire les symptômes.

Où cela nous mène-t-il ?

Il est maintenant on ne peut plus clair que les troubles du sommeil dans la maladie mentale ne se résument pas à ne pas pouvoir dormir à une heure appropriée, mais sont un facteur qui exacerbe ou cause de sérieux problèmes de santé.

Comprendre la nature des troubles du sommeil dans la maladie mentale, et développer des thérapies basées sur des preuves factuelles en utilisant des thérapies comportementales cognitives, des expositions à la lumière chronométrées de façon appropriée ainsi que quelques nouvelles substances prometteuses pour stabiliser les rythmes circadiens est un objectif majeur du travail actuellement mené à Oxford.

Il est temps que nous commencions à prendre au sérieux l’importance du sommeil dans tous les secteurs de la société, et particulièrement dans la maladie mentale.

Traiter les problèmes de sommeil dans la maladie mentale n’améliorera pas seulement la santé et la qualité de vie d’un nombre incalculable de personnes et de leur personnel soignant, cela aura aussi un impact massif sur l'économie de la santé.

Auteur : Russell FOSTER          Professor of Circadian Neuroscience , University of Oxford

source : https://theconversation.com/why-sleep-could-be-the-key-to-tackling-mental-illness-50102

Photo de Jey