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Vous connaissez le microbiote de l’intestin, que savez-vous de celui du nez ?

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La communauté microbienne présente dans notre nez pourrait-elle influencer nos choix alimentaires ? Dean Drobot/Shutterstock

Nicolas Meunier, INRA

Hommes ou femmes, jeunes ou vieux, nous sommes tous colonisés par un à deux kilos de micro-organismes. Ces bactéries, virus et champignons, présents à l’intérieur et à l’extérieur de notre corps, sont réunis sous un terme de plus en plus familier, le microbiote. La majorité d’entre eux se trouve dans notre intestin, mais on en trouve également sur toutes les surfaces du corps, incluant les alvéoles de nos poumons ainsi que nos muqueuses, dont celle du nez.

Les nombreuses études scientifiques consacrées au microbiote, champ de recherche en pleine ébullition, nous ont fait prendre conscience de son importance pour rester en bonne santé. On réalise aujourd’hui qu’il joue peut-être un rôle dans notre comportement vis-à-vis de nos semblables, qu’il influence notre odeur corporelle et même notre rapport à la nourriture. Si vous vous êtes passionné pour les découvertes portant sur le microbiote intestinal, alors vous serez étonné d’apprendre que l’on commence seulement à explorer l’influence du microbiote sur l’odorat.

L’influence du microbiote sur l’épithélium de l’intestin (couche de cellules tapissant la face interne de cet organe) a suscité un développement considérable de la recherche, depuis sa caractérisation génétique en 2006. Il est désormais largement admis que la flore intestinale est impliquée dans la plupart des grandes fonctions de l’organisme, de la régulation de la pression artérielle de l’individu à la quantité ou au type d’aliments consommés.

De l’influence du microbiote sur la sociabilité

Des travaux publiés en 2016 vont même plus loin. Ils attribuent au microbiote un rôle majeur dans les comportements sociaux. Cette étude américaine porte sur le développement de l’autisme en lien avec une obésité de la mère. Les auteurs y étudient des souris issues de mères obèses nourries avec un régime gras et sucré. Ces souris, bien que nourries après leur naissance avec un régime standard, ont des relations sociales déficientes.

Il faut savoir que les souris sont des animaux sociaux. En présence d’un nouvel individu, elles passent habituellement du temps à s’explorer mutuellement. Or les souris nées de mères obèses s’intéressent très peu aux autres souris. Ainsi, elles représentent un modèle animal précieux pour étudier l’autisme, dont on sait par ailleurs que la fréquence est supérieure chez les enfants issus de mère obèse.

Tout d’abord, les chercheurs constatent que le microbiote de ces souris est différent de celui de leurs congénères issus de mères soumises à un régime alimentaire équilibré. Ensuite, ils montrent qu’en ajoutant une bactérie majeure manquante dans leur microbiote, via leur alimentation, leurs relations sociales reviennent à la normale. Ils concluent que leur étude ouvre des perspectives dans le traitement des troubles du comportement chez l’Homme, par le recours aux probiotiques. Sachant que ces « bonnes » bactéries sont déjà utilisés couramment, en complément de l’alimentation, en cas de mycoses ou de diarrhées. La conclusion de ces chercheurs pose question, comme nous le verrons un peu plus loin.

De manière surprenante, alors que le microbiote intestinal et ses effets physiologiques sont très étudiés, peu de travaux se focalisent sur celui des autres organes. L’auteur de la page « microbiote » sur Wikipédia se plaint même que, sur plus de 4 200 études consacrées au microbiote humain, seulement sept s’intéressent à la communauté microbienne… du pénis. Aucune étude ne s’étant penchée sur celle du nez, mon domaine à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), nous avons décidé avec un groupe de collègues de nous y intéresser.

Le microbiote modifie la détection des odeurs

L’épithélium olfactif, le tissu qui tapisse l’intérieur de notre nez, réalise l’étape initiale de la détection des odeurs, avant le traitement des informations par le cerveau. Nous avons dans un premier temps choisi d’étudier les variations du système olfactif chez des animaux sans aucun microbiote, dits « axéniques ». Selon nos observations, l’absence de microbiote modifie bien la structure de l’épithélium olfactif – de manière moins drastique, cependant, que pour l’épithélium de l’intestin.

D’abord, son renouvellement est ralenti. Ce phénomène s’explique probablement par la disparition des micro-organismes habituellement présents dans la cavité nasale. Moins attaquées par des micro-organismes pathogènes venus de l’environnement, les cellules de l’épithélium ne sont pas poussées à se renouveler aussi fréquemment.

Ensuite, chez les animaux axéniques, la couche ciliaire des neurones olfactifs où se déroule la détection des molécules odorantes est plus mince. Eh oui, il y a des neurones dans notre nez, et pas seulement dans le cerveau !. Malgré cette couche de cils plus minces, les signaux électriques neuronaux générés par l’arrivée des odorants sont, paradoxalement, plus intenses chez les animaux axéniques. Sans fournir d’explication à ce paradoxe, ces premiers travaux montrent en tout cas que le microbiote influence la structure des tissus nerveux localisés dans notre nez.

Des préférences pour des odeurs différentes

Nous avons alors réalisé une nouvelle série d’expériences dans le but d’étudier si la nature du microbiote pouvait influencer la manière dont les souris perçoivent les odeurs. À cette fin, nous avons utilisé des souris ayant toutes le même profil génétique mais séparées en trois groupes colonisés chacun par un microbiote différent. Nous avons constaté que les trois groupes de rongeurs ne manifestaient pas les mêmes préférences face à un panel d’odeurs sélectionnées spécialement pour susciter leur intérêt.

Pour en savoir plus, nous avons enregistré l’activité électrique des neurones de l’épithélium olfactif des souris en réponse aux odeurs testées. La encore, nous avons constaté des variations entre les trois groupes. Cependant, certains groupes de souris pouvaient s’intéresser de manière différente à deux odeurs tandis que les neurones de leur nez y répondaient de manière similaire.

Les neurones du nez ne réalisent que la première étape de traitement de l’information apportée par les odeurs. L’intérêt plus ou moins prononcé d’une souris vis-à-vis d’une odeur résulte donc de l’intégration de l’information venue de l’épithélium olfactif par de nombreuses structures de son cerveau. La discordance observée entre le comportement des souris et la réponse des neurones de leur nez suggère donc que la nature du microbiote colonisant l’organisme de la souris influence la manière dont son cerveau interprète les odeurs.

Notre odeur corporelle nous est familière

Au moins deux hypothèses permettent de comprendre que les préférences des souris soient influencées par leur microbiote. Les odeurs émises par tous les animaux sont très liées aux micro-organismes qui les colonisent. C’est le cas chez l’Homme où la majorité des odeurs corporelles sont issues du métabolisme de nos bactéries à la surface de notre peau, dans notre intestin et dans nos organes génitaux. Il en est de même chez les rongeurs. Leur odeur corporelle, qui leur est familière, peut donc expliquer les différences d’attirance pour les odeurs testées.

Par ailleurs, les préférences olfactives des rongeurs adultes sont très dépendantes des odeurs ayant émané de l’environnement pendant leur développement cérébral et ce, dès le stade utérin, comme le montrent de nombreuses études récentes. Les odeurs avec lesquelles ils ont été en contact très tôt dans leur vie leur sont, elles aussi, familières et peuvent donc influer sur leur intérêt vis-à-vis des odeurs qu’ils rencontrent une fois adulte. Cet apprentissage très précoce des odeurs pendant le développement fœtal semble très général dans le monde animal, et est également bien décrit chez l’Homme.

Les odeurs que nous rencontrons très tôt dans notre vie nous influencent une fois adultes. Iva/Flickr, CC BY-NC-SA

À ce stade de notre raisonnement, il est cependant utile de rappeler que la souris diffère de l’Homme dans l’utilisation de ses cinq sens. La souris privilégie l’odorat – fondamental dans ses interactions sociales – tandis que l’Homme sollicite davantage la vision et l’ouïe. Ainsi, des souris rendues incapables de détecter les odeurs par une modification génétique (souris dites anosmiques) perdent les comportements de reproduction et de défense de leur territoire. Elles ont, en plus, un comportement parental altéré.

Si le microbiote affecte le fonctionnement du système olfactif des souris, alors il convient de regarder sous un nouvel angle les travaux des équipes utilisant les rongeurs comme modèles d’études de l’impact du microbiote sur le comportement. C’est le cas des travaux de l’équipe américaine sur l’autisme et le microbiote, cités au début de cet article. Il faut se demander si les perturbations du comportement social observées chez les souris dans leur expérience ne viendraient pas, en fait, d’une perturbation de leurs repères olfactifs.

Des souriceaux perturbés dans leurs repères olfactifs

En effet, les chercheurs ont appliqué aux souriceaux, après leur sevrage, un régime alimentaire différent de celui de leurs mères. Ce changement de nourriture entraîne une modification de leurs odeurs corporelles. Ils perdent sans doute à cette occasion une bonne partie de leurs repères olfactifs initiaux ! Aussi, on peut faire l’hypothèse que la perturbation du comportement social chez ces rongeurs implique avant tout leur odorat.

Contrairement aux souris, nous les humains ne donnons pas la priorité aux informations olfactives pour établir nos relations sociales. Cette remarque amène à relativiser la portée de l’étude portant sur ces animaux.

The ConversationPar contre, si comme chez le rongeur, notre microbiote modifie notre manière d’appréhender les odeurs autour de nous, il est tout à fait envisageable qu’il nous influence dans le choix de nos aliments. Car il est bien établi que notre odorat nous guide dans nos attirances ou nos répulsions pour tel ou tel aliment. Ainsi, une tout autre piste de recherche pourrait être d’évaluer dans quelle mesure nous pouvons changer notre microbiote afin que nos envies nous poussent, tout naturellement, vers une nourriture plus saine.

Nicolas Meunier, Neurobiologiste spécialiste de l'olfaction, université Paris Saclay, INRA

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Aider notre état psychologique en soutenant notre microbiote ?

Les chercheurs étudient si les micro-organismes peuplant notre intestin pourraient jouer un rôle dans la dépression. Nik Shuliahin/Unsplash

La découverte la plus frappante est sans doute celle de liens entre les perturbations de cette flore intestinale et des troubles psychiatriques comme l’anxiété, la dépression, les troubles bipolaires, la schizophrénie, ou encore un trouble neurodéveloppemental comme l’autisme. Il est trop tôt, à ce stade, pour affirmer qu’il s’agit d’une cause, et non pas d’une conséquence de ces troubles. Néanmoins, l’hypothèse selon laquelle la communauté microbienne abritée par notre intestin détermine en partie notre humeur et nos comportements mérite d’être étudiée. Si elle venait à être confirmée, cela ouvrirait des perspectives de prévention ou de traitement inédites en santé mentale.

Les trois premières années de la vie, période clé

Le microbiote intestinal se forme au cours des trois premières années de la vie. Il reste ensuite relativement stable au cours de la vie mais peut être transitoirement modifié, par exemple par un nouveau régime alimentaire, une infection intestinale ou un traitement antibiotique. Le rôle de cet écosystème est fondamental dans la motricité intestinale, c’est-à-dire la progression des aliments dans le système digestif. Il l’est aussi dans le développement du système immunitaire, protégeant l’individu contre l’agression de certaines pathogènes. Il l’est, enfin, dans le système métabolique, participant à la digestion, influençant l’absorption et la distribution des nutriments voire, en cas de maladie, des médicaments.

On estime actuellement que 90 % des maladies pourraient avoir un lien avec des perturbations du microbiote, les unes causant les autres ou inversement. On parle de « dysbiose », pour des situations dans lesquelles une altération de la biodiversité du microbiote peut occasionner des effets négatifs pour l’individu. La « paucibiose » fait référence à la perturbation quantitative du microbiote, c’est-à-dire une baisse du nombre total de bactéries, indépendamment du nombre d’espèces différentes.

Les effets de telles perturbations sur les comportements ont été mis en évidence, pour l’instant, par des études sur des modèles animaux. Ainsi des chercheurs ont fait naître des rats par césarienne, dans des conditions stériles, pour qu’ils aient le moins de contacts possible avec des micro-organismes présents chez leur mère ou dans l’environnement. Ces rongeurs développent rapidement des troubles comportementaux évoquant des maladies psychiatriques : le repli sur soi, une perte de poids, des troubles du sommeil, de l’anxiété, la perte de l’hygiène voire des automutilations.

Or ces troubles s’avèrent réversibles si on administre à ces mêmes rats des probiotiques (des bactéries bonnes pour leur santé) au cours des six premières semaines de leur vie. Au-delà, les troubles deviennent irréversibles, suggérant que le microbiote joue un rôle crucial dans la période de développement du système nerveux central.

Comment le microbiote influence le cerveau

Qu’en est-il chez l’homme ? Notre microbiote peut influencer notre cerveau par plusieurs voies. Il peut modifier la perméabilité intestinale (c’est-à-dire le passage des molécules à travers la paroi de l’intestin vers la circulation sanguine et de là vers le cerveau), moduler l’inflammation au niveau de l’intestin et dans le sang, l’absorption de nutriments bénéfiques ou essentiels pour le cerveau, et influencer le système nerveux autonome responsable des réactions d’éveil et de fuite. Ces phénomènes semblent être à l’œuvre dans plusieurs types de troubles.

À ce jour, les chercheurs ont surtout étudié le lien entre la perturbation du microbiote intestinal et l’autisme, un trouble neurodéveloppemental caractérisé par la diminution des interactions sociales et de la communication, avec des comportements stéréotypés et répétitifs. L’autisme s’accompagne très fréquemment de troubles digestifs. Les enfants autistes, comparés aux non-autistes, auraient dix fois plus de bactéries de type Clostridium, une augmentation des Bacteroidetes et Desulfovibrio, et une diminution des Firmicutes et Bifidobacterium.

Une augmentation de la perméabilité intestinale (l’intestin jouant moins bien son rôle de filtre retenant les pathogènes) a également été décrite dans l’autisme, ainsi qu’une élévation de marqueurs d’inflammation dans le sang. De nombreuses autres anomalies au niveau de la paroi de l’intestin et de la composition des selles chez ces enfants ont également été rapportées.

Le syndrome de l’intestin irritable associé à l’anxiété

Schéma de l’intestin. William Crochot/Wikimedia, CC BY-SA

À l’inverse, des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, comme le syndrome de l’intestin irritable, sont associées à des taux très élevés d’anxiété et de dépression. De tels taux ne sont pas retrouvés dans d’autres maladies chroniques non-inflammatoires pourtant tout aussi difficiles à vivre au quotidien.

Chez les patients souffrant de troubles dépressifs majeurs, une faible sécrétion d’acide gastrique a été rapportée. Cette diminution de l’acidité gastrique a été associée à la croissance (réversible) du microbiote au niveau de l’intestin grêle, ce qui peut entraîner des troubles digestifs, une augmentation de la perméabilité intestinale, de la malabsorption des nutriments, des épisodes de diarrhée ou de constipation.

Une autre observation plaide en faveur du rôle du microbiote intestinal dans la régulation ou le déclenchement des troubles anxio-dépressifs. Des bactéries sécrètent des substances qui sont aussi des neurotransmetteurs, c’est à dire des composés chimiques produits par les neurones pour agir comme messager en direction des autres neurones. Ainsi, certaines souches de Lactobacillus et de Bifidobacterium produisent de l’acide gamma-amino-butyrique (GABA). Les genres Escherichia, Bacillus, et Saccharomyces produisent de la noradrénaline ; Candida, Streptococcus, Escherichia, et Enterococcus produisent de la sérotonine ; alors que Bacillus et Serratia peuvent produire de la dopamine. Tous ces neurotransmetteurs jouent un rôle majeur dans les mécanismes de la dépression.

La schizophrénie et les troubles bipolaires, des maladies psychiatriques chroniques sévères, ont également fait l’objet de travaux. Une étude récente s’est intéressée aux marqueurs de translocation bactérienne anormale, des molécules qui, en temps normal, doivent être trouvées seulement à l’intérieur de l’intestin. Quand ces molécules sont trouvées dans le sang, cela peut être le signe d’une augmentation de la perméabilité de l’intestin. Ce phénomène a précisément été observé chez des personnes touchées par ces deux maladies.

La recherche sur le rôle du microbiote et son influence sur nos comportements en est à ses balbutiements. Ce champ de recherche apparaît aujourd’hui comme un possible chaînon manquant pour expliquer comment se déclenchent ou perdurent certaines maladies mentales. Des probiotiques, des prébiotiques (des substrats favorisant la croissance de souches de bactéries bénéfiques) et des approches nutritionnelles spécifiques sont utilisés actuellement dans certaines pathologies intestinales. Pourraient-ils trouver, un jour, une utilité dans le domaine de la santé mentale ? De nouvelles études seront nécessaires avant de pouvoir confirmer, ou infirmer, l’efficacité de telles interventions.

Auteur : Psychiatre, chercheur associé, Université Pierre et Marie Curie (UPMC) – Sorbonne Universités.

Publié sur : The Conversation / Le microbiote intestinal dicte-t-il notre humeur et nos comportements ?